La Directive n° 95/46 de 1995[1] sur la protection des données personnelles fait apparaître au sein de son article 18 le « détaché à la protection des données à caractère personnel », sans en rendre sa nomination obligatoire ni encadrer la nomination de ce nouvel acteur. La Directive laisse les Etats membres définir plus précisément ce nouvel acteur.

C’est lors de la transposition de la Directive par la loi du 6 août 2004[2], que le « détaché à la protection des données » fait son apparition dans la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978, en étant renommé « correspondant à la protection des données à caractère personnel ». Par commodité, les professionnels du secteur des données à caractère personnel et la CNIL elle-même (qui déposera même la marque « CIL ») le dénommeront « correspondant Informatique et Libertés » (« CIL »).

Le CIL est mentionné dans l’article 22 dans la loi. Mais son rôle et son statut sont principalement encadrés par le décret du 20 octobre 2005[3] dont un titre entier lui est consacré.

Cet acteur majeur dans la protection des données personnelles en raison de son lien privilégié avec la CNIL a mis du temps à s’imposer, une minorité d’entreprises ayant aujourd’hui recours à un CIL.

Mais ces dernières années, le nombre de CIL a très fortement augmenté. Ce principalement pour trois raisons :

  • La prise de conscience récente de l’enjeu que représente la protection des données personnelles pour les entreprises (image, risques, avantage concurrentiel dans le B to B comme dans le B to C),
  • L’augmentation des sanctions dans le projet de loi sur la République Numérique et le Règlement européen sur la protection des données à caractère personnel,
  • L’obligation de désigner, au plus tard le 25 mai 2018, un correspondant (qui sera alors dénommé « délégué à la protection des données » ou « data protection officer – DPO » en anglais) pour un grand nombre d’entreprises, selon la taille de celles-ci, le volume et/ou le type de données traitées.

Le Règlement du 27 avril 2016[4] qui abroge la Directive de 1995 renforce de façon conséquente les obligations des responsables de traitement, rendant le recours à un spécialiste de la protection des données personnelles rapidement indispensable afin d’éviter de courir le risque de sanctions très lourdes.

Le CIL, acteur majeur trop peu utilisé

Le terme de « Correspondant » préféré par le législateur français au terme de « Détaché » utilisé par la Directive, tend à souligner le rôle principal de cet acteur : faire le lien entre la structure qui l’a nommé et les services de la CNIL en étant appelé à travailler en étroite collaboration avec elle.

Le « correspondant » demeure indépendant par rapport à la CNIL, la loi de transposition précise qu’il « ne peut faire l’objet d’aucune sanction de la part de l’employeur du fait de l’accomplissement de ses missions ».

Le CIL peut être un salarié, un membre de la structure ou un prestataire externe dès lors que moins de 50 personnes sont chargées de la mise en œuvre des traitements ou y ont directement accès. Les avocats sont particulièrement légitimes pour jouer ce rôle, en raison de leurs connaissances juridiques et de leur indépendance. Le Règlement Intérieur National qui s’applique à la profession d’avocat encadre d’ailleurs précisément l’avocat-CIL depuis 2009.

Le CIL est tenu principalement de :

  • dresser une liste des traitements automatisés de données nominatives,
  • assurer le respect des obligations prévues dans la loi Informatique et Libertés et à ce titre inscrire au registre tous les traitements nécessitant normalement une déclaration à la CNIL (ne nécessitant pas ou n’ayant pas fait l’objet d’une demande d’autorisation préalable à la CNIL).
  • informer le responsable des traitements des manquements constatés et le conseiller dans la réponse à apporter pour y remédier,
  • établir un bilan annuel à présenter au responsable des traitements et à tenir à disposition de la CNIL,
  • procéder à la sensibilisation du responsable de traitement ainsi que de son personnel, en procédant autant que possible à des formations,
  • recevoir les réclamations et requêtes des personnes concernées par les traitements, pour permettre l’exercice de leurs droits.

Les responsables de traitement qui procèdent à cette nomination bénéficie d’un allègement des formalités à effectuer auprès de la CNIL, les déclarations n’ayant plus à être effectuées.

Du CIL au DPO : l’émergence d’un expert incontournable

Alors que le CIL reste encore aujourd’hui relativement peu connu et peu utilisé, le Règlement du 27 avril 2016 place le « Data Protection Officer » (« DPO ») – ou « délégué à la protection des données » (« DPD ») en français – au cœur du nouveau dispositif de protection des données personnelles en lui consacrant une section entière.

Il en rend la nomination obligatoire, même dans les petites structures :

  • pour les autorités publiques et les organismes publics,
  • pour les structures dont les activités de base en tant que responsable ou sous-traitant exigera « « un suivi régulier et systématique à grande échelle des personnes concernées »,
  • et enfin pour les structures, responsables ou sous-traitants, dont le traitement consistera en un « traitement à grande échelle » de données sensibles telles que des données de santé, sur l’opinion politique ou religieuse, sur l’orientation sexuelle, etc.

Il s’ensuit que de nombreuses entreprises aujourd’hui sans CIL sont susceptibles de se retrouver dans l’obligation de nommer un DPO qu’elles soient responsable du traitement ou sous-traitante.

Par ailleurs, même pour les structures qui ne seront pas concernées par l’obligation de nommer un DPO, les obligations nouvelles qui pèsent sur les responsables du traitement/sous-traitants et les sanctions auxquelles ceux-ci s’exposent en cas de non-respect de ces obligations vont rendre la nomination d’un DPO malgré tout particulièrement recommandée. Il reviendra en effet aux responsables de traitement et sous-traitants, entre autre, dans certains cas précis tel que le traitement à grande échelle de données sensibles, de réaliser une étude d’impact avant la mise en œuvre du traitement (article 35). De manière générale, le Règlement européen sur la protection des données, document complexe de plus de 200 pages, nécessite des compétences particulières et notamment des compétences juridiques pour être correctement interprété.

La plupart des CIL d’aujourd’hui deviendront les DPO de demain, sous réserve toutefois de justifier des compétences juridiques et techniques requises. Alors que la loi « informatique et libertés » est peu précise s’agissant de la qualification, se bornant à exiger du CIL « des qualifications requises pour exercer ses missions », sans autre précision, le Règlement exige désormais que le délégué à la protection des données ait des « connaissances spécialisées du droit » et des « pratiques en matière de protection des données ».

Procéder dès aujourd’hui à la nomination d’un CIL compétent en matière juridique et en matière de protection des données, et qui deviendra le DPO demain, permet de préparer l’entreprise ou l’organisme à l’application de la loi sur la République Numérique en cours d’adoption, ainsi qu’à l’application, à compter du 25 mai 2018, du Règlement européen ainsi, sachant que la sanctions administratives des non-conformités vont considérablement augmenter, pour passer, dans un premier temps (Loi Lemaire) à 3.000.000 euros au premier manquement et, dans un second temps (25 mai 2018) à 20.000.000 € ou 4% du chiffre d’affaires mondial.

Pascal Alix, Avocat et CIL

Hubert de Segonzac, Avocat et CIL

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[1] Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données

[2] Loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

[3] Décret n°2005-1309 du 20 octobre 2005 pris pour l’application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

[4] Règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant  la directive 95/46/CE


 

Pourquoi désigner un CIL externe ?

 

  • Parce que la plupart des petites entreprises sont actuellement hors la loi

Une étude récente PwC/Iron Mountain[5] indique qu’au moins 4 entreprises sur 10 employant 250 à 2500 personnes ne sont pas en conformité.  Si l’on examine les pratiques en matière de conservation des données, le pourcentage atteint 89 %. Quant au  pourcentage de non-conformité des petites structures, il est  encore bien  plus important.

 

  • Parce que la dématérialisation, l’explosion des données, la généralisation du « cloud » et des applications en mode SaaS augmentent les risques

Les petites structures utilisent massivement des outils peu sécurisés d’éditeurs hors UE pour traiter les données personnelles de leurs clients et partenaires (Par ex. Dropbox, Gmail, Office 365, Google Apps for Work, Google Drive, Amazon Web Services, etc.), en étant liés aux prestataires par des contrats non conformes (accès aux données et réutilisation, exclusion de responsabilité, etc.). Le CLUSIF a récemment[6] constaté que seules 25% des entreprises de plus de 200 personnes disposaient d’une politique d’utilisation du Cloud. Les entreprises de moins de 50 personnes n’en disposent généralement pas.

 

  • Parce que la non-conformité met en danger le modèle économique de l’entreprise

Le modèle économique de la plupart des entreprises repose désormais sur l’exploitation des données personnelles des prospects, des clients, des partenaires, des salariés et de tiers. Il s’agit d’une partie importante du « patrimoine numérique » de l’entreprise[7]. Leur perte peut avoir des conséquences économiques aussi graves, voire plus graves que la contrefaçon. Par ailleurs, la publication d’une sanction administrative ou d’une perte de données a un effet désastreux sur la réputation et l’image de l’entreprise. Enfin, et sans être exhaustif, la cession d’un fichier non régulièrement déclaré est nulle[8]. Autant dire qu’aucune cession d’entreprise ne peut intervenir sans mise en conformité préalable.

 

  • Parce qu’en 2017, les règles du jeu vont changer en France

Le projet de loi « pour une République numérique » [9] traite en grande partie[10] des données à caractère personnel. Le texte prévoit notamment :

 

  • un « droit de récupération de l’ensemble des données »[11] aux conditions prévues à l’article 20 du Règlement européen et dont les modalités d’exercice devront être clairement déterminées par le responsable de traitement,
  • un droit à l’effacement des données collectées lorsque la personne concernée était mineure au moment de la collecte, en prenant des mesures raisonnables en vue de l’effacement de de tout lien, de toute copie ou de toute reproduction,
  • Une sanction pécuniaire (CNIL) « proportionné(e) à la gravité du manquement commis et aux avantages tirés de ce manquement », prenant en compte notamment la négligence et les mesures prises pour atténuer les dommages, dans la limite non plus de 150.000 euros ou de 300.000 euros après récidive, mais de 3.000.000 euros au premier manquement, ce jusqu’au 25 mai 2018.
  • Parce qu’en mai 2018, les règles du jeu vont changer plus profondément encore

A compter du 25 mai 2018, le Règlement européen sera immédiatement applicable en France. Or, le Règlement va modifier profondément le droit des données à caractère personnel, notamment :

 

  • En responsabilisant les responsables de traitement et les sous-traitants, en mettant le délégué à la protection des données, dont la désignation deviendra obligatoire dans nombre de cas, au cœur du système[12],
  • En accentuant l’exigence du consentement[13], qui devra être éclairé et univoque et pourra être « retiré à tout moment »,
  • En accentuant l’exigence de transparence avec, notamment l’obligation de fournir, sur demande, un grand nombre de nouvelles informations[14] et notamment un grand nombre d’informations relatives aux sources des données traitées,
  • En imposant un « droit à l’effacement (« droit à l’oubli ») non seulement sur demande, mais aussi lorsque les données ne sont plus nécessaires au traitement,
  • En imposant un « droit à la portabilité » des données « dans un format structuré, couramment utilisé »,
  • En imposant des analyses d’impact dans certains cas (profilage, traitements de données à grande échelle de données sensibles, probabilité d’un « risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques ») en collaboration étroite avec le délégué à la protection des données,
  • En augmentant notablement le quantum des sanctions, qui vont atteindre 20.000.000 € ou 4% du chiffre d’affaires mondial (10.000.000 € ou 2% du CA mondial en cas de défaut de désignation d’un délégué à la protection des données).
  • Parce que la technologie ne suffit jamais à assurer la conformité des traitements de données

Tout d’abord parce que tous les fichiers sont concernés, y compris les fichiers dont le traitement n’est pas automatisé (répertoire sur Windows) et les fichiers sur support papier. Ensuite parce que la protection des données repose en grande partie sur l’organisation. Et enfin parce que sans charte d’utilisation des outils informatiques, sans politique de sécurité (PSSI), sans information claire et précise des personnes concernées, sans sensibilisation du personnel, sans analyse des contrats avec les sous-traitants, aucune protection des données n’est possible.

 

  • Parce que la conformité va devenir à court terme un avantage concurrentiel

Beaucoup de grandes entreprises et d’ETI ont un CIL. Ces entreprises ont compris que la protection des données des tiers et de leur patrimoine informationnel  avait au moins autant d’importance que la protection de leurs autres actifs immatériels par la propriété intellectuelle. Or, dans les années à venir, ces entreprises ne pourront, en application du Règlement européen, contracter qu’avec des entreprises présentant des garanties suffisantes en matière de protection des données. La désignation d’un CIL deviendra donc progressivement un avantage concurrentiel dans le cadre du « B to B ». Compte tenu des craintes des consommateurs, la démarche affichée de protection sera également un avantage concurrentiel dans le cadre du « B to C ».

 

  • Parce que dans certains cas, la nomination d’un délégué à la protection des données sera obligatoire, même dans les petites structures

La nomination d’un délégué à la protection des données sera obligatoire dès mai 2018, indépendamment du nombre de personnes ayant accès aux données, lorsque le traitement exigera « un suivi régulier et systématique à grande échelle des personnes concernées » ou consistera en un « traitement à grande échelle » de données sensibles telles que des données de santé, sur l’opinion politique ou religieuse, sur l’orientation sexuelle, etc.

 

  • Parce que le CIL, qui a une vision transverse de l’exploitation des données peut accompagner efficacement la transformation digitale de l’entreprise

Lorsqu’il s’agit d’exploitation et de protection des données, chaque département à sa vision. La vision de l’ingénieur n’est pas celle du responsable de la sécurité informatique, ni celle du responsable RH, ni celle du responsable marketing ou du responsable commercial. Or, le CIL centralise toutes les questions relatives aux données, quelles que soient les sources de collecte, la nature des données, les finalités des traitements, les destinataires, les personnes y ayant accès. Il est donc bien placé pour accompagner l’entreprise dans le cadre de sa transformation digitale.

 

  • Pourquoi un CIL externe ? Parce que les fonctions de CIL ont évolué jusqu’à devenir un métier[15] nécessitant une expertise confirmée par la pratique

Alors que la loi « informatique et libertés » est peu précise s’agissant de la qualification, se bornant à exiger du CIL « des qualifications requises pour exercer ses missions »[16], sans autre précision, le Règlement exige désormais que le délégué à la protection des données ait des « connaissances spécialisées du droit » et des « pratiques en matière de protection des données »[17]. L’interprétation des plus de deux cents pages du Règlement européen est, à n’en pas douter, un travail d’expert et, en particulier, un travail de juriste. A noter qu’à compter du 25 mai 2018, toutes les entreprises, y compris celles tenues d’en désigner un, y compris les grandes entreprises et autres organismes, pourront désigner un délégué à la protection des données externe à la structure[18].

Pascal ALIX, Avocat à la Cour et CIL

Hubert Dunoyer de Segonzac, Avocat à la Cour et CIL

 

[1] Articles 42 et s. du Règlement européen n° 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données

[2] Article 44 du Décret n°2005-1309 du 20 octobre 2005 modifié

[3] Article 6.2.2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat

[4] Article 22 III. de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978

[5] PwC/Iron Mountain, « Beyond Good Intentions »

[6] Menaces informatiques et pratiques de sécurité en France, CLUSIF, 23 juin 2016

[7] CIGREF, Economie des données personnelles, Les enjeux d’un business éthique, octobre 2015

[8] Cass. com., 25 juin 2013, pourvoi n° 12-17037, Bull. V, n° 108 : « …tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL et que la vente par la société Bout-Chard d’un tel fichier qui, n’ayant pas été déclaré, n’était pas dans le commerce, avait un objet illicite… »

[9] Texte élaboré par la Commission Mixte Paritaire enregistré le 30 juin 2016 par l’A.N. et le Sénat

[10] 29 occurrences

[11] Article 21 modifiant les articles L. 224-42 et s. du code de la consommation

[12] 33 occurrences

[13] 68 occurrences

[14] Article 14 du Règlement

[15] Correspondant Informatique et Libertés, Bien plus qu’un métier, AFCDP, 2015

[16] Article 22 III. de la loi

[17] Article 37 5. du Règlement

[18] Article 37 6. du Règlement