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La Directive n° 95/46 de 1995[1] sur la protection des données personnelles fait apparaître au sein de son article 18 le « détaché à la protection des données à caractère personnel », sans en rendre sa nomination obligatoire ni encadrer la nomination de ce nouvel acteur. La Directive laisse les Etats membres définir plus précisément ce nouvel acteur.

C’est lors de la transposition de la Directive par la loi du 6 août 2004[2], que le « détaché à la protection des données » fait son apparition dans la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978, en étant renommé « correspondant à la protection des données à caractère personnel ». Par commodité, les professionnels du secteur des données à caractère personnel et la CNIL elle-même (qui déposera même la marque « CIL ») le dénommeront « correspondant Informatique et Libertés » (« CIL »).

Le CIL est mentionné dans l’article 22 dans la loi. Mais son rôle et son statut sont principalement encadrés par le décret du 20 octobre 2005[3] dont un titre entier lui est consacré.

Cet acteur majeur dans la protection des données personnelles en raison de son lien privilégié avec la CNIL a mis du temps à s’imposer, une minorité d’entreprises ayant aujourd’hui recours à un CIL.

Mais ces dernières années, le nombre de CIL a très fortement augmenté. Ce principalement pour trois raisons :

  • La prise de conscience récente de l’enjeu que représente la protection des données personnelles pour les entreprises (image, risques, avantage concurrentiel dans le B to B comme dans le B to C),
  • L’augmentation des sanctions dans le projet de loi sur la République Numérique et le Règlement européen sur la protection des données à caractère personnel,
  • L’obligation de désigner, au plus tard le 25 mai 2018, un correspondant (qui sera alors dénommé « délégué à la protection des données » ou « data protection officer – DPO » en anglais) pour un grand nombre d’entreprises, selon la taille de celles-ci, le volume et/ou le type de données traitées.

Le Règlement du 27 avril 2016[4] qui abroge la Directive de 1995 renforce de façon conséquente les obligations des responsables de traitement, rendant le recours à un spécialiste de la protection des données personnelles rapidement indispensable afin d’éviter de courir le risque de sanctions très lourdes.

Le CIL, acteur majeur trop peu utilisé

Le terme de « Correspondant » préféré par le législateur français au terme de « Détaché » utilisé par la Directive, tend à souligner le rôle principal de cet acteur : faire le lien entre la structure qui l’a nommé et les services de la CNIL en étant appelé à travailler en étroite collaboration avec elle.

Le « correspondant » demeure indépendant par rapport à la CNIL, la loi de transposition précise qu’il « ne peut faire l’objet d’aucune sanction de la part de l’employeur du fait de l’accomplissement de ses missions ».

Le CIL peut être un salarié, un membre de la structure ou un prestataire externe dès lors que moins de 50 personnes sont chargées de la mise en œuvre des traitements ou y ont directement accès. Les avocats sont particulièrement légitimes pour jouer ce rôle, en raison de leurs connaissances juridiques et de leur indépendance. Le Règlement Intérieur National qui s’applique à la profession d’avocat encadre d’ailleurs précisément l’avocat-CIL depuis 2009.

Le CIL est tenu principalement de :

  • dresser une liste des traitements automatisés de données nominatives,
  • assurer le respect des obligations prévues dans la loi Informatique et Libertés et à ce titre inscrire au registre tous les traitements nécessitant normalement une déclaration à la CNIL (ne nécessitant pas ou n’ayant pas fait l’objet d’une demande d’autorisation préalable à la CNIL).
  • informer le responsable des traitements des manquements constatés et le conseiller dans la réponse à apporter pour y remédier,
  • établir un bilan annuel à présenter au responsable des traitements et à tenir à disposition de la CNIL,
  • procéder à la sensibilisation du responsable de traitement ainsi que de son personnel, en procédant autant que possible à des formations,
  • recevoir les réclamations et requêtes des personnes concernées par les traitements, pour permettre l’exercice de leurs droits.

Les responsables de traitement qui procèdent à cette nomination bénéficie d’un allègement des formalités à effectuer auprès de la CNIL, les déclarations n’ayant plus à être effectuées.

Du CIL au DPO : l’émergence d’un expert incontournable

Alors que le CIL reste encore aujourd’hui relativement peu connu et peu utilisé, le Règlement du 27 avril 2016 place le « Data Protection Officer » (« DPO ») – ou « délégué à la protection des données » (« DPD ») en français – au cœur du nouveau dispositif de protection des données personnelles en lui consacrant une section entière.

Il en rend la nomination obligatoire, même dans les petites structures :

  • pour les autorités publiques et les organismes publics,
  • pour les structures dont les activités de base en tant que responsable ou sous-traitant exigera « « un suivi régulier et systématique à grande échelle des personnes concernées »,
  • et enfin pour les structures, responsables ou sous-traitants, dont le traitement consistera en un « traitement à grande échelle » de données sensibles telles que des données de santé, sur l’opinion politique ou religieuse, sur l’orientation sexuelle, etc.

Il s’ensuit que de nombreuses entreprises aujourd’hui sans CIL sont susceptibles de se retrouver dans l’obligation de nommer un DPO qu’elles soient responsable du traitement ou sous-traitante.

Par ailleurs, même pour les structures qui ne seront pas concernées par l’obligation de nommer un DPO, les obligations nouvelles qui pèsent sur les responsables du traitement/sous-traitants et les sanctions auxquelles ceux-ci s’exposent en cas de non-respect de ces obligations vont rendre la nomination d’un DPO malgré tout particulièrement recommandée. Il reviendra en effet aux responsables de traitement et sous-traitants, entre autre, dans certains cas précis tel que le traitement à grande échelle de données sensibles, de réaliser une étude d’impact avant la mise en œuvre du traitement (article 35). De manière générale, le Règlement européen sur la protection des données, document complexe de plus de 200 pages, nécessite des compétences particulières et notamment des compétences juridiques pour être correctement interprété.

La plupart des CIL d’aujourd’hui deviendront les DPO de demain, sous réserve toutefois de justifier des compétences juridiques et techniques requises. Alors que la loi « informatique et libertés » est peu précise s’agissant de la qualification, se bornant à exiger du CIL « des qualifications requises pour exercer ses missions », sans autre précision, le Règlement exige désormais que le délégué à la protection des données ait des « connaissances spécialisées du droit » et des « pratiques en matière de protection des données ».

Procéder dès aujourd’hui à la nomination d’un CIL compétent en matière juridique et en matière de protection des données, et qui deviendra le DPO demain, permet de préparer l’entreprise ou l’organisme à l’application de la loi sur la République Numérique en cours d’adoption, ainsi qu’à l’application, à compter du 25 mai 2018, du Règlement européen ainsi, sachant que la sanctions administratives des non-conformités vont considérablement augmenter, pour passer, dans un premier temps (Loi Lemaire) à 3.000.000 euros au premier manquement et, dans un second temps (25 mai 2018) à 20.000.000 € ou 4% du chiffre d’affaires mondial.

Pascal Alix, Avocat et CIL

Hubert de Segonzac, Avocat et CIL

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[1] Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données

[2] Loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

[3] Décret n°2005-1309 du 20 octobre 2005 pris pour l’application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

[4] Règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant  la directive 95/46/CE


 

Pourquoi désigner un CIL externe ?

 

  • Parce que la plupart des petites entreprises sont actuellement hors la loi

Une étude récente PwC/Iron Mountain[5] indique qu’au moins 4 entreprises sur 10 employant 250 à 2500 personnes ne sont pas en conformité.  Si l’on examine les pratiques en matière de conservation des données, le pourcentage atteint 89 %. Quant au  pourcentage de non-conformité des petites structures, il est  encore bien  plus important.

 

  • Parce que la dématérialisation, l’explosion des données, la généralisation du « cloud » et des applications en mode SaaS augmentent les risques

Les petites structures utilisent massivement des outils peu sécurisés d’éditeurs hors UE pour traiter les données personnelles de leurs clients et partenaires (Par ex. Dropbox, Gmail, Office 365, Google Apps for Work, Google Drive, Amazon Web Services, etc.), en étant liés aux prestataires par des contrats non conformes (accès aux données et réutilisation, exclusion de responsabilité, etc.). Le CLUSIF a récemment[6] constaté que seules 25% des entreprises de plus de 200 personnes disposaient d’une politique d’utilisation du Cloud. Les entreprises de moins de 50 personnes n’en disposent généralement pas.

 

  • Parce que la non-conformité met en danger le modèle économique de l’entreprise

Le modèle économique de la plupart des entreprises repose désormais sur l’exploitation des données personnelles des prospects, des clients, des partenaires, des salariés et de tiers. Il s’agit d’une partie importante du « patrimoine numérique » de l’entreprise[7]. Leur perte peut avoir des conséquences économiques aussi graves, voire plus graves que la contrefaçon. Par ailleurs, la publication d’une sanction administrative ou d’une perte de données a un effet désastreux sur la réputation et l’image de l’entreprise. Enfin, et sans être exhaustif, la cession d’un fichier non régulièrement déclaré est nulle[8]. Autant dire qu’aucune cession d’entreprise ne peut intervenir sans mise en conformité préalable.

 

  • Parce qu’en 2017, les règles du jeu vont changer en France

Le projet de loi « pour une République numérique » [9] traite en grande partie[10] des données à caractère personnel. Le texte prévoit notamment :

 

  • un « droit de récupération de l’ensemble des données »[11] aux conditions prévues à l’article 20 du Règlement européen et dont les modalités d’exercice devront être clairement déterminées par le responsable de traitement,
  • un droit à l’effacement des données collectées lorsque la personne concernée était mineure au moment de la collecte, en prenant des mesures raisonnables en vue de l’effacement de de tout lien, de toute copie ou de toute reproduction,
  • Une sanction pécuniaire (CNIL) « proportionné(e) à la gravité du manquement commis et aux avantages tirés de ce manquement », prenant en compte notamment la négligence et les mesures prises pour atténuer les dommages, dans la limite non plus de 150.000 euros ou de 300.000 euros après récidive, mais de 3.000.000 euros au premier manquement, ce jusqu’au 25 mai 2018.
  • Parce qu’en mai 2018, les règles du jeu vont changer plus profondément encore

A compter du 25 mai 2018, le Règlement européen sera immédiatement applicable en France. Or, le Règlement va modifier profondément le droit des données à caractère personnel, notamment :

 

  • En responsabilisant les responsables de traitement et les sous-traitants, en mettant le délégué à la protection des données, dont la désignation deviendra obligatoire dans nombre de cas, au cœur du système[12],
  • En accentuant l’exigence du consentement[13], qui devra être éclairé et univoque et pourra être « retiré à tout moment »,
  • En accentuant l’exigence de transparence avec, notamment l’obligation de fournir, sur demande, un grand nombre de nouvelles informations[14] et notamment un grand nombre d’informations relatives aux sources des données traitées,
  • En imposant un « droit à l’effacement (« droit à l’oubli ») non seulement sur demande, mais aussi lorsque les données ne sont plus nécessaires au traitement,
  • En imposant un « droit à la portabilité » des données « dans un format structuré, couramment utilisé »,
  • En imposant des analyses d’impact dans certains cas (profilage, traitements de données à grande échelle de données sensibles, probabilité d’un « risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques ») en collaboration étroite avec le délégué à la protection des données,
  • En augmentant notablement le quantum des sanctions, qui vont atteindre 20.000.000 € ou 4% du chiffre d’affaires mondial (10.000.000 € ou 2% du CA mondial en cas de défaut de désignation d’un délégué à la protection des données).
  • Parce que la technologie ne suffit jamais à assurer la conformité des traitements de données

Tout d’abord parce que tous les fichiers sont concernés, y compris les fichiers dont le traitement n’est pas automatisé (répertoire sur Windows) et les fichiers sur support papier. Ensuite parce que la protection des données repose en grande partie sur l’organisation. Et enfin parce que sans charte d’utilisation des outils informatiques, sans politique de sécurité (PSSI), sans information claire et précise des personnes concernées, sans sensibilisation du personnel, sans analyse des contrats avec les sous-traitants, aucune protection des données n’est possible.

 

  • Parce que la conformité va devenir à court terme un avantage concurrentiel

Beaucoup de grandes entreprises et d’ETI ont un CIL. Ces entreprises ont compris que la protection des données des tiers et de leur patrimoine informationnel  avait au moins autant d’importance que la protection de leurs autres actifs immatériels par la propriété intellectuelle. Or, dans les années à venir, ces entreprises ne pourront, en application du Règlement européen, contracter qu’avec des entreprises présentant des garanties suffisantes en matière de protection des données. La désignation d’un CIL deviendra donc progressivement un avantage concurrentiel dans le cadre du « B to B ». Compte tenu des craintes des consommateurs, la démarche affichée de protection sera également un avantage concurrentiel dans le cadre du « B to C ».

 

  • Parce que dans certains cas, la nomination d’un délégué à la protection des données sera obligatoire, même dans les petites structures

La nomination d’un délégué à la protection des données sera obligatoire dès mai 2018, indépendamment du nombre de personnes ayant accès aux données, lorsque le traitement exigera « un suivi régulier et systématique à grande échelle des personnes concernées » ou consistera en un « traitement à grande échelle » de données sensibles telles que des données de santé, sur l’opinion politique ou religieuse, sur l’orientation sexuelle, etc.

 

  • Parce que le CIL, qui a une vision transverse de l’exploitation des données peut accompagner efficacement la transformation digitale de l’entreprise

Lorsqu’il s’agit d’exploitation et de protection des données, chaque département à sa vision. La vision de l’ingénieur n’est pas celle du responsable de la sécurité informatique, ni celle du responsable RH, ni celle du responsable marketing ou du responsable commercial. Or, le CIL centralise toutes les questions relatives aux données, quelles que soient les sources de collecte, la nature des données, les finalités des traitements, les destinataires, les personnes y ayant accès. Il est donc bien placé pour accompagner l’entreprise dans le cadre de sa transformation digitale.

 

  • Pourquoi un CIL externe ? Parce que les fonctions de CIL ont évolué jusqu’à devenir un métier[15] nécessitant une expertise confirmée par la pratique

Alors que la loi « informatique et libertés » est peu précise s’agissant de la qualification, se bornant à exiger du CIL « des qualifications requises pour exercer ses missions »[16], sans autre précision, le Règlement exige désormais que le délégué à la protection des données ait des « connaissances spécialisées du droit » et des « pratiques en matière de protection des données »[17]. L’interprétation des plus de deux cents pages du Règlement européen est, à n’en pas douter, un travail d’expert et, en particulier, un travail de juriste. A noter qu’à compter du 25 mai 2018, toutes les entreprises, y compris celles tenues d’en désigner un, y compris les grandes entreprises et autres organismes, pourront désigner un délégué à la protection des données externe à la structure[18].

Pascal ALIX, Avocat à la Cour et CIL

Hubert Dunoyer de Segonzac, Avocat à la Cour et CIL

 

[1] Articles 42 et s. du Règlement européen n° 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données

[2] Article 44 du Décret n°2005-1309 du 20 octobre 2005 modifié

[3] Article 6.2.2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat

[4] Article 22 III. de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978

[5] PwC/Iron Mountain, « Beyond Good Intentions »

[6] Menaces informatiques et pratiques de sécurité en France, CLUSIF, 23 juin 2016

[7] CIGREF, Economie des données personnelles, Les enjeux d’un business éthique, octobre 2015

[8] Cass. com., 25 juin 2013, pourvoi n° 12-17037, Bull. V, n° 108 : « …tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL et que la vente par la société Bout-Chard d’un tel fichier qui, n’ayant pas été déclaré, n’était pas dans le commerce, avait un objet illicite… »

[9] Texte élaboré par la Commission Mixte Paritaire enregistré le 30 juin 2016 par l’A.N. et le Sénat

[10] 29 occurrences

[11] Article 21 modifiant les articles L. 224-42 et s. du code de la consommation

[12] 33 occurrences

[13] 68 occurrences

[14] Article 14 du Règlement

[15] Correspondant Informatique et Libertés, Bien plus qu’un métier, AFCDP, 2015

[16] Article 22 III. de la loi

[17] Article 37 5. du Règlement

[18] Article 37 6. du Règlement

Le Règlement 2016/679 sur la protection des données personnelles (RGPD) abroge la Directive 95/46/CE datant de 1995.

A la différence d’une Directive, le Règlement s’impose uniformément dans tous les Etats membres de l’Union européenne sans que ces Etats n’aient besoin d’adopter une loi pour transposer les nouvelles règles dans le droit étatique. Le Règlement est un facteur d’unité en matière d’encadrement juridique du traitement des données personnelles dans l’Union européenne.

Le Règlement, facteur d’unité

La disparité des lois de transposition entrainait une perte de confiance des personnes physiques lorsque leurs données circulaient au sein de l’Union, la protection de ces données n’étant pas équivalente entre les différents Etats membres et représentait aussi un frein conséquent pour une concurrence saine au sein de l’Union, les entreprises pouvant être tentées de favoriser une implantation dans les Etats où la loi de transposition était la moins stricte. Cette disparité était encore un facteur de coût et d’insécurité juridique pour les entreprises. En effet, selon le pays dans lequel une entreprise collecte ou souhaite transférer des données, le niveau de protection des données et la réglementation s’appliquant à leur traitement n’étaient pas équivalents. Les autorités de contrôle ne pouvaient, par ailleurs, sanctionner et surveiller de façon cohérente.

L’harmonisation permet de mettre un terme à ces difficultés.

Si le RGPD concède à certains endroits une certaine liberté aux Etats membres de l’UE, son considérant 8 précise que ces marges de manœuvre se limitent à « la mesure nécessaire pour garantir la cohérence et pour rendre les dispositions nationales compréhensibles pour les personnes auxquelles elles s’appliquent ». Il n’est donc pas question, a priori, de créer des différences de fond, mais de respecter l’ordre juridique interne des Etats-membres là où une uniformité ne serait pas respectueuse des disparités nationales.

Respect de la diversité de l’organisation administrative des Etats membres

Parmi les articles au sein desquels il est précisé que chaque Etat membre bénéficie de souplesse dans leur application, plusieurs concernent des questions d’organisations internes.

Ainsi, si le Règlement impose la création d’une autorité de contrôle en matière de données personnelles, une grande liberté est laissée aux Etats quant aux critères de sélection des membres de ces autorités, au mode de nomination, à la durée de leur mandat, etc.

Le respect de la structure organisationnelle des Etats membres se retrouve encore dans la possibilité qui leur est laissée de préciser eux-mêmes les opérations et procédures de traitement des données à caractère personnel par les juridictions et autres autorités judiciaires, avec la volonté explicite de respecter ainsi la séparation des pouvoirs (considérant 20).

Enfin, le respect de la séparation des pouvoirs au sein des Etats membres se retrouve encore dans la liberté totale laissée en matière de fixation de la sanction pénale. Si l’article 83 fixe le montant des amendes administratives, l’article 84 laisse les Etats membres déterminer le régime des autres sanctions applicables en cas de violation du Règlement. Ces sanctions devront néanmoins être « effectives, proportionnées et dissuasives ».

Liberté pour les Etats membres de renforcer les règles encadrant certaines données

Le respect des souverainetés nationales est visible dans la possibilité laissée aux Etats membres de renforcer certaines règles lorsque celles-ci concernent des données sensibles ou présentant un intérêt public. L’article 6§2 permet ainsi aux Etats membres de déterminer « plus précisément les exigences spécifiques applicables au traitement » nécessaire notamment à l’exécution d’une mission d’intérêt public.

L’article 9 quant à lui pose comme principe l’interdiction du traitement des données sensibles (origine raciale ou ethnique, opinions politiques, convictions religieuses ou philosophiques, l’appartenance syndicale, données génétiques, données concernant la santé ou la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle) avant de présenter des exceptions à ce principe (consentement de la personne concernée, sauvegarde des intérêts vitaux,…). Le Règlement laisse néanmoins la possibilité pour les Etats membres de « maintenir ou introduire des conditions supplémentaires, y compris des limitations, en ce qui concerne le traitement des données génétiques, des données biométriques ou des données concernant la santé ». La flexibilité n’autorise ici que l’ajout de conditions en vue de renforcer les règles, le Règlement fixant donc quoiqu’il en soit un minimum de protection dans le traitement des données sensibles relatives à la santé.  

Liberté d’encadrement pour les Etats membres relative à certains secteurs

Enfin, certains secteurs spécifiques font l’objet de contraintes moins fortes imposées par le Règlement afin de respecter, là encore, l’organisation et la culture des Etats membres. Ces secteurs sont en particulier ceux de la presse et de l’audiovisuel. Il revient ainsi aux Etats membres de fixer les exemptions et dérogations nécessaires aux fins d’assurer un équilibre entre le droit à la protection des données personnelles et le droit à la liberté d’expression et d’information. Le considérant 153 précise que pour ces secteurs, en cas de disparité au sein des Etats membres, c’est le droit de l’Etat membre dont relève le responsable du traitement qui devra s’appliquer.

Le secteur des ressources humaines offre lui aussi une possibilité accrue pour les Etats membres de prévoir des règles propres. La particularité ici est que les règles spécifiques pourront être créées par le droit des Etats membres, des conventions collectives ou par le droit découlant des accords d’entreprises. Les règles concernées sont toutes celles relatives au traitement des données personnelles dans la relation de travail (recrutement, exécution du contrat de travail, planification de l’organisation du travail, etc.). Ce dernier secteur fera donc sans doute l’objet d’une attention particulière dans les années à venir, des disparités concernant le traitement des données des salariés risquant d’apparaître régulièrement, au gré des modifications des conventions collectives ou des accords d’entreprises. Les syndicats auront un rôle important à jouer dans la défense des données de ces salariés.

***

Le Règlement a cherché à préserver, dans cette uniformisation des règles applicables au traitement des données personnelles, quelques libertés pour les Etats membres afin de respecter les organisations internes ou des secteurs spécifiques.

L’avenir nous montrera si les petites brèches dans l’uniformité n’ont pas créé trop de différences notables, la recherche saine et juste de l’équilibre entre uniformité et liberté en amont laissant courir un risque de déséquilibre, en aval, dans l’usage que les Etats membres feront de ces petits espaces de liberté.

Pascal Alix, Avocat et CIL

Hubert de Segonzac, avocat et CIL

Août 2016 : le cabinet VIRTUALEGIS intègre le classement de la revue « DECIDEURS » des meilleurs cabinets d’avocats français dans la catégorie « Nouvelles technologies – Données personnelles » , dans la rubrique « Forte Notoriété -1″

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Le 14 avril 2016, le Parlement européen a adopté le Règlement 2016/679 sur la protection des données personnelles, après plus de quatre ans de négociation et discussions. Il sera applicable à partir du 25 mai 2018 dans tous les pays membres de l’Union européenne.

Ce texte représente une avancée majeure alors que le texte européen applicable en matière de données personnelles était jusqu’alors la directive 95/46/CE datant de 1995, époque où Internet balbutiait et où les smartphones et les applications qui les accompagnent relevaient encore de la science-fiction.

L’émergence rapide de l’ère du numérique a rendu nécessaire l’adoption d’un nouveau texte. La nature juridique de ce texte, un règlement, est déjà une avancée conséquente pour les entreprises. Alors qu’une directive demande une transposition dans chaque Etat membre, impliquant des différences entre les lois de transposition, le Règlement, applicable sans transposition, permet d’unifier le marché européen en matière de protection des données personnelles. A l’heure du big data, cette unification permet de garantir un niveau de protection des données personnelles équivalent au sein de tous les pays membres et d’éviter le forum shopping [1].

En parallèle, et au fur et à mesure de l’importance qu’a pris le recueil des données par les entreprises, le citoyen a pris conscience du danger que peut représenter l’utilisation de ses données. En consacrant le droit à l’oubli, déjà reconnu par la Cour de Justice de l’Union Européenne par l’arrêt du 13 mai 2014[2], et le droit à la portabilité des données personnelles, l’Europe confirme avec ce Règlement que les données personnelles sont et demeurent la propriété des personnes physiques concernées. Partant, le citoyen demandera sans cesse plus de gages concernant le recueil et l’utilisation des données qu’il accepte de transmettre.

Ainsi, bien qu’applicable à partir du 25 mai 2018[3], les entreprises sont encouragées à prendre connaissance des obligations du Règlement et anticiper cette application. D’autant plus que ce texte appelle à un changement de comportement, en mettant la protection des données personnelles au cœur de la réalisation des produits tout d’abord, puis de la politique de l’entreprise.

 

La protection des données dès la conception des produits ou services

En faisant explicitement référence à la notion de « privacy by design »[4], le Règlement pose la protection des données personnelles en principe structurant dès la conception des produits, services ou applications.

Chiffrement, pseudonymisation et autres mesures… devront être anticipés par les responsables des traitements des données. Le Règlement impose que les mesures de protection soient proactives et préventives, au lieu d’être comme aujourd’hui, principalement correctives.

La notion de « privacy by design » est par ailleurs accompagnée, dans le même article du Règlement (article 25), du principe de « privacy by default ». Il revient au responsable du traitement des données de garantir que, par défaut, seules les données à caractère personnel qui sont nécessaires au regard de chaque finalité spécifique du traitement sont traitées.

L’obligation pour le responsable du traitement et le sous-traitant de pouvoir démontrer le respect du Règlement

Le Règlement vise à responsabiliser les entreprises en leur demandant d’être à même de démontrer qu’elles respectent les règles relatives à la protection des données personnelles lors des traitements. Ce paradigme du Règlement peut se retrouver sous la notion d’accountability.

L’accountability se retrouve en arrière-plan de la nouvelle obligation de réalisation d’une analyse d’impact en amont de certains traitements. Cette analyse s’impose lorsqu’un traitement est susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques. La qualification du traitement à risque va découler de sa nature, de sa portée, du contexte et des finalités de ce traitement. L’analyse doit être effectuée avant le traitement et peut conduire le responsable du traitement à consulter l’autorité administrative de contrôle, la CNIL en France, au cas où l’analyse conclut à un risque élevé.

L’accountability passe encore par la tenue d’un registre des traitements comme cela est fait aujourd’hui par les correspondants informatique et libertés (« CIL »). Le registre sera obligatoire pour les responsables de traitement ou les sous-traitants de plus de 250 salariés ou lorsque le traitement pourra constituer un risque pour les droits et libertés des personnes concernées, ne sera pas occasionnel ou qu’il portera notamment sur des données sensibles. Les sous-traitants, qui pourront donc aussi être amenés à respecter cette obligation voient ainsi leur responsabilité et leur rôle auprès des responsables de traitement avec lesquels ils travaillent s’accroître.

Ce registre devra en particulier préciser la finalité du recueillement des données, les mesures de sécurité, le transfert éventuel de ces données vers un pays tiers, la durée de la conservation des données.

La notion d’accountability tend enfin à imposer aux entreprises la transmission à leurs salariés et collaborateurs d’une culture de protection des données qui peut passer en particulier par la mise en place de formations internes, l’application de codes de conduite élaborés par les associations représentant des catégories de responsables du traitement ou encore la demande de certifications.

Le DPO : un acteur stratégique pour l’application du Règlement par les entreprises

Afin de veiller au respect de ces différentes obligations, le Règlement crée un nouvel acteur pour l’application des règles encadrant le traitement des données personnelles : le délégué à la protection des données, ou Data Protection Officer (« DPO »). Ce DPO, tout comme le CIL aujourd’hui, pourra être un salarié ou un expert externe tel un avocat.

Le DPO – dont la dénomination française n’a pas encore été choisie, la CNIL pouvant, par exemple décider de continuer à exploiter la marque « CIL » – aura comme principales responsabilités d’être garant de la conformité de la protection des données personnelles par les responsables de traitement et les sous-traitants. Il bénéficiera en outre de prérogatives accrues en matière de gestion des risques, en particulier lors de la réalisation de l’analyse d’impact, le cas échéant, pour la réalisation de laquelle le responsable du traitement doit lui demander conseil. Il sera par ailleurs l’interlocuteur privilégié des autorités administratives et des personnes concernées en cas de violations de données personnelles. Le DPO pourra aussi conseiller les entreprises quant à l’adhésion à des codes de conduite ou la soumission à des certifications.

Sa nomination sera obligatoire pour les personnes morales de droit public et pour les personnes morales de droit privé lorsque, sans que ces critères soient cumulatifs :

  • Les activités de base du responsable du traitement ou du sous-traitant consistent en des opérations de traitement qui du fait de leur nature, de leur portée et/ou de leurs finalités, exigent un suivi régulier et systématique à grande échelle des personnes concernées ;
  • Les activités de base du responsable du traitement ou du sous-traitant consistent en un traitement à grande échelle de catégories particulières de données (données sensibles) et de données à caractère personnel relatives à des condamnations pénales et aux infractions.

Pour autant, même pour les entreprises responsable de traitement ou sous-traitante non concernées par l’obligation, la nomination d’un DPO est fortement recommandée. En effet, être conseillé par un professionnel formé et ayant la pleine connaissance des enjeux, contraintes et règles à respecter pour être en conformité en matière de protection des données permettra à l’entreprise de garantir le respect du Règlement.

Cette mise en conformité est d’autant plus importante que le règlement modifie les sanctions en cas de violation. Oubliée la sanction maximum de 150 000 €. A partir de 2018, les sanctions administratives pourront aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial.

Mais au-delà de la crainte engendrée par la sanction, le respect du Règlement peut surtout permettre à l’entreprise de communiquer sur ses bonnes pratiques en matière de protection des données.

Comme il est dorénavant primordial pour une entreprise de montrer qu’elle est respectueuse de l’environnement, gageons qu’avec l’entrée en vigueur du Règlement il sera bientôt impératif pour les entreprises de prouver à leurs clients qu’elles sont intransigeantes en matière de sécurité, de protection des données personnelles et de transparence lors de leur recueil.

Les premières entreprises à prendre en considération les différents points énoncés ci-dessus bénéficieront à n’en pas douter d’un avantage concurrentiel majeur.

2018 se prépare dès aujourd’hui.

Pascal Alix, Avocat et CIL

Hubert de Segonzac, avocat et CIL


[1] Rattachement volontaire au pays offrant la loi la plus favorable

[2] Cour de Justice de l’Union Européenne, 13 mai 2014

[3] Le Règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données a été adopté le 14 avril 2016, puis publié au Journal Officiel de l’Union Européenne le 4 mai 2016. Il est entré en vigueur vingt jours après sa publication, soit le 24 mai 2016. Il sera applicable deux ans après, soit le 25 mai 2018

[4] Intégration de mécanismes de protection des données personnelles dès la conception de l’architecture du traitement de données

2 février 2016 : Conférence JINOV/Le Monde du Droit : Big data, « compliance » et données personnelles

Intervention sur la conformité (« compliance ») des projets big data au futur règlement européen sur les données à caractère personnel, aux côtés du professeur Célia Zolynski, de Christiane Féral Schuhl, ancien Bâtonnier de Paris et de François Pellegrini, Professeur des universités et membre de la CNIL.

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15 octobre 2015 : Le Big Data et la nécessité d’une approche pluridisciplinaire
Conférence ARISTOTE organisée par Pascal ALIX

Les projets Big Data sont confrontés à un droit mal outillé, voire inadapté pour les appréhender. Mais les principes qui ont présidé à l’élaboration de ces règles demeureront longtemps d’actualité. Il s’agit essentiellement de protéger l’homme contre lui-même ou contre les projets qui, quelles que soient leurs finalités, nuiraient à son identité, à ses libertés ou à des droits fondamentaux. Par ailleurs, le droit évolue. Il devient collaboratif, s’inscrit dans un contexte de responsabilisation (« accountability ») et de co-régulation.

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