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Le 9 novembre 2018, le Conseil de l’Union Européenne a approuvé le texte du règlement sur la libre circulation des données non-personnelles[1], destiné non plus à protéger les droits des personnes physiques dans le cadre du traitement de leurs données à caractère personnel, mais à éliminera les obstacles à la libre circulation des données à caractère non personnel dans l’UE. Un accord provisoire avait été conclu le 19 juin 2018 entre le Conseil de l’UE, la Commission et le Parlement Européen[2] sur la base du texte adopté le 4 octobre 2018 au Parlement de Strasbourg[3]. Selon la revue « Clubic »[4], cette nouvelle réglementation « boosterait considérablement l’économie numérique sur le marché mondial et la croissance de la zone (à hauteur de 4 % du PIB d’ici 2020) ».

 

Objectifs

Selon Andrus Ansip, vice-président chargé du marché unique numérique : «Les restrictions liées à la localisation des données sont des signes de protectionnisme […]. Nous avons franchi une nouvelle étape grâce à cet accord pour la libre circulation des données à caractère non personnel afin de promouvoir les innovations technologiques et de nouveaux modèles économiques et de créer un espace européen pour tous les types de données.».

L’idée est d’ouvrir la voie à un véritable marché unique européen du stockage et du traitement des données et, partant, à un secteur européen des services en nuage compétitif, sûr et fiable.

Selon le Parlement européen, « le développement rapide de l’économie des données et des technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle, les produits et les services en lien avec l’internet des objets, les systèmes autonomes et la 5G soulèvent de nouvelles questions juridiques quant à l’accès aux données et à leur réutilisation, à la responsabilité, à l’éthique et à la solidarité. Des travaux devraient être envisagés sur la question de la responsabilité, notamment par la mise en œuvre de codes de conduite par autorégulation et d’autres bonnes pratiques, en tenant compte des recommandations, des décisions et des mesures prises sans interaction humaine tout au long de la chaîne de valeur du traitement des données. Ces travaux pourraient également porter sur des mécanismes appropriés visant à déterminer les responsabilités et à transférer les responsabilités entre services coopérant, les assurances et les audits. »[5].

Selon le Conseil d’UE, cette nouvelle règlementation européenne est destinée à « dynamiser l’économie des données et le développement de technologies émergentes telles que les systèmes autonomes transfrontières et l’intelligence artificielle. ». Le but est de créer un espace européen unique (« marché numérique unique ») des données au sein duquel des données de plus en plus nombreuses pourront circuler sans entrave.

La libre-circulation des données non personnelles dans l’UE. Une mesure qualifiée de « cinquième liberté », après les personnes, les biens, les services et les capitaux[6].

Les données concernées sont les données statistiques, les données relatives aux personnes morales, les données anonymisées, ainsi que l’ensemble des autres données qui ne répondent pas à la définition de la donnée à caractère personnel[7][8][9].

 

Les nouvelles règles sur la libre circulation des données à caractère non personnel

La nouvelle réglementation reposera sur les principes suivants :

  1. Assurer la libre circulation des données à travers les frontières

La libre circulation des données à travers les frontières supposera l’interdiction des restrictions liées à leur localisation. En clair, cela signifie l’interdiction pour les États d’imposer le stockage ou le traitement des données non personnelles sur leur sol, à moins qu’elles ne concernent la sécurité publique[10].

Selon la rapporteure suédoise Anna Maria Corazza Bildt (PPE), « Cette législation change vraiment la donne, en offrant à la fois aux entreprises et aux autorités publiques des gains potentiels énormes en termes d’efficacité. Cela réduira le protectionnisme en matière de données, qui menace l’économie numérique, et ouvrira la voie à l’intelligence artificielle, à l’informatique en nuage et à l’analyse des mégadonnées »[11].

Les États membres devront notifier à la Commission toute restriction résiduelle ou prévue concernant des cas précis et limités de traitement des données du secteur public (traitements souverains). Le #RGPD et le #RDNP devront « fonctionner ensemble » pour permettre à la fois la protection des données à caractère personnel et la libre circulation de toutes les données, à caractère personnel et à caractère non personnel.

En cas de jeux de « données composites » (par ex. jeux de données comprenant à la fois (1) des données inférées ou dérivées constituant des données à caractère personnel et (2) des données statistiques ou des données d’exploitation non identifiantes), la disposition du RGPD garantissant la libre circulation des données à caractère personnel s’appliquera à la partie personnelle du jeu[12].

 

  1. Assurer la disponibilité des données à des fins de contrôle réglementaire

Les pouvoirs publics doivent pouvoir avoir accès aux données à des fins de contrôle et de surveillance quel que soit l’endroit où elles sont stockées ou traitées dans l’UE, sous peine de sanction en cas d’entrave [13]. Cet aspect de la nouvelle réglementation est probablement un de ceux qui sera examiné de près par les acteurs du Cloud ainsi que par les acteurs de la protection des données à caractère personnel.

Le projet de #RDNP prévoit que les « autorités compétente » peuvent, après avoir vainement demandé l’accès aux donnés d’un utilisateur et faute d’accord de coopération spécifique, « solliciter l’assistance de l’autorité compétente dans un autre État membre, conformément à la procédure prévue à l’article 7[14] ».

Rappelons qu’EUROPOL s’inquiétait des conséquences des nouvelles règles sur la protection des données en ce qu’elles peuvent parfois « compliquer l’accès des bases de données listant les propriétaires des sites internet lors des enquêtes policières »[15]. Comme dans d’autres domaines, il sera parfois nécessaire d’arbitrer entre liberté et sécurité.

 

  1. Encourager l’instauration de codes de conduite de l’UE pour les services en nuage (Cloud)

Il s’agit de lever les obstacles au changement de fournisseur de services de stockage en nuage et à la portabilité de l’ensemble des données numériques – et pas seulement des données à caractère personnelle – pour leur rapatriement sur les systèmes informatiques internes des utilisateurs ou vers d’autres systèmes informatiques.

Le projet de règlement prévoit qu’au plus tard le … [48 mois à partir de la date de publication du présent règlement [16]], la Commission soumet un rapport au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, notamment sur « l’élaboration et la mise en œuvre effective des codes de conduite, ainsi que la fourniture effective d’informations par les fournisseurs de services ».

Le projet de #RDNP prévoit, comme le #RGPD, des « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas de manquement à l’obligation de fournir des données, conformément au droit de l’Union et au droit national »[17]

Le projet de #RDNP prévoit, comme le #RGPD, une période transitoire de 24 mois pendant laquelle les organismes doivent se mettre en conformité[18].

Pascal ALIX, Avocat à la Cour et Délégué à la Protection des Données

 

[1] http://data.consilium.europa.eu/doc/document/PE-53-2018-INIT/en/pdf

[2] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-4227_fr.htm

[3] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P8-TA-2018-0381&format=XML&language=FR

[4] « l’Union européenne crée un « Schengen » de la donnée » https://www.clubic.com/pro/it-business/securite-et-donnees/actualite-844266-libre-circulation-union-europeenne-cree-schengen-donnee.html

[5] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P8-TA-2018-0381&format=XML&language=FR

[6] https://www.euractiv.fr/section/economie/news/a-fifth-freedom-of-the-eu-meps-back-end-of-data-localisation/

[7] Article 3 1) du projet de règlement : « «données», les données autres que les données à caractère personnel au sens de l’article 4, point 1), du règlement (UE) 2016/679 »

[8] Article 4 1) du RGPD : toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée «personne concernée»); est réputée être une «personne physique identifiable» une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou social

[9] par exemple « les lots de données agrégées et anonymisées utilisés pour le big data et l’analyse, les données sur l’agriculture de précision qui peuvent aider à surveiller et optimiser l’utilisation de pesticide et d’eau, ou les données sur les besoins de maintenance de machines industrielles » (https://www.nextinpact.com/brief/l-ue-s-apprete-a-signer-le-reglement-sur-la-libre-circulation-des-donnees-6523.htm).

[10] Le lobby « Cispe Cloud », représentant les acteurs du cloud (dont Amazon, OVH, Hetzner ou encore Ikoula) se félicite de cette adoption.

[11] https://www.euractiv.fr/section/economie/news/a-fifth-freedom-of-the-eu-meps-back-end-of-data-localisation/

[12] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-4227_fr.htm

[13] Considérant 24 du projet de Règlement : « le présent règlement devrait clairement préciser qu’il ne porte pas atteinte au pouvoir des autorités compétentes de demander ou d’obtenir l’accès à des données conformément au droit de l’Union ou au droit national, et que les autorités compétentes ne peuvent se voir refuser l’accès aux données au motif que les données sont traitées dans un autre État membre. ».

[14] Article 5 2.

[15] https://www.euractiv.fr/section/economie/news/privacy-regulators-in-hotseat-over-future-of-fundamental-website-owners-list/

[16] Projet actuel

[17] Article 5 4.

[18] Par ex. article 4

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